LA NARRATION
LR. : Autrement, du point de vue de la narration, est-ce que cela a été une intuition de faire le récit en flash-back ? ED. : Une intuition ? À quel niveau ? LR. : Est-ce que vous vous êtes dit demblée que le récit en flash-back était une bonne chose ? ED. : Oui, javais envie de faire ça, car javais envie davoir une sorte de métronome qui me serve à doser le rythme du livre, qui soient des extraits du texte quAlbert écrit alors quil vient de séchapper. Et donc ça me permet de reprendre les choses du début, cest à dire que la première page se situe en fait à la fin du bouquin et ça me permet détalonner tout le reste du récit sur ces extraits de la lettre quAlbert écrit à son chef bien aimé Delorme, pour lui révéler la vérité. Et puis ça me permet de faire la jonction finale dont on peut garder le mystère, et lui donner plus dimpact. FG. : Ça ma fait penser plus à la structure du roman noir, quà celle du roman policier, puisque finalement, il ny a pas vraiment denquête avec recherche du coupable, on sait tout de suite qui a commis le meurtre, on sort un peu de ce cadre là, on est dans un cadre où par ce système de flash-back, on sait directement comment ça va finir, la question est plutôt : " comment on va arriver, quel enchaînement de faits va amener le personnage vers la situation finale ? " ED. : Moi, je fais bien la différence entre " roman ", puisque cest surtout dans le roman que le polar a ses classifications, la différence entre " polar ", genre Manchette, qui est un roman généralement violent, de critique sociale, et le roman à énigmes genre Agatha Christie, à savoir, un lieu, un meurtre, des indices, tagada... résolution ou pas de lénigme et arrestation du coupable. Ça nest pas un domaine qui mintéresse du tout. Donc, on sait dès le départ, quil y a meurtre, qui a tué etc... Donc, ce nest pas du tout lenjeu du bouquin. Je ne crois pas que je ferai un jour ce genre de choses qui me semblent être des constructions un peu mécaniques. Ça ne mattire pas par exemple de poser le problème " un type sest fait tuer, qui la tué, pourquoi... " Ou alors men servir avec une dimension parodique ou accessoirement, mais ce nest pas un domaine qui mattire vraiment. |
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LR. : Un truc bizarre dans la narration, puisque le récit part donc comme un récit en flash-back, mais dès la deuxième planche, on assiste à une scène qui ne peut pas être vue par Albert, et qui se situe apparemment après les événements quAlbert est en train de raconter. Le même schéma se répète puisque la planche suivante (la planche 3), on retourne à lhistoire quAlbert nous raconte, et planche 4 on retourne aux scènes des gauchistes. Alors, pourquoi avoir fait tout de suite cette espèce de fracture dans le récit ?
ED. : Parce que jaime bien tripatouiller la narration ! (rires) Et en fait, la dimension narrative de la bande dessinée, cest vraiment un truc qui mintéresse : savoir comment on peut le mieux raconter une action donnée, donc là en gros, il y a des types en embuscade, qui attendent, et il y a cet autre type qui sera le témoin du meurtre et qui commence à raconter, à partir dun autre point. Au départ je comptais plus développer cette partie dattente et puis développer plus ces personnages. Et puis ça me posait toujours ce fameux problème de place quon a quand on fait de la bande dessinée. Jaurais bien aimé de temps en temps enchâsser des pages, même si elles ne sont pas chronologiquement intégrées dans le flash-back, qui sert le récit dAlbert. Je ne sais pas si je suis clair ? Cest vraiment une façon denchâsser un truc, cest une expérience... LR. : Ce nest pas vraiment enchâssé, cest plutôt fragmenté... ED. : Oui, cest ça, cest une espèce de truc hétérogène, qui est incrusté, qui est comme un caillou dans une chaussure. |
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FG. : Cest une façon de briser un peu la structure chronologique...
ED. : Voilà ! Cest déjà les éléments qui... enfin lidée, si on veut vraiment mettre des mots sur des sensations comme ça, cest déjà les grains de sable dans les rouages. Cest un peu le truc qui devrait pas être là. Jaurais pu sinon, de façon plus classique, commencer le flash-back, et puis quand on arrive au meurtre de Philippot, on découvre les deux types. Éventuellement, on pourrait découvrir les deux pages du début du livre au moment du meurtre de Philippot ou juste avant. Là, on les a déjà en tête, on sait quils attendent, on sait même en gros ce qui va arriver quand le type reçoit le coup de fil qui prévient que Philippot arrive et quil a pris la route, il fait même un lapsus, il dit : " il vient de mourir " au lieu de " il vient de partir ", donc cest pas du tout cela lenjeu ; lenjeu cest : " comment ils en sont arrivé là ? " Ils ont été contacté par une organisation etc... Il sagit dêtre clair sur ce que je mets en avant, en fait. Suis-je clair ? LR. : Oui, vous êtes clair. ED. : Ce nest pas évident en fait. Et puis ce ne sont pas forcément des choses qui sont faites pour être expliquées, pour être perçues consciemment par le lecteur. Ce sont des choses, comme tout ce qui concerne la narration en fait, les astuces de construction comme ça, il les voit forcément parce quil les lit, mais il nen est pas nécessairement conscient. LR. : Mais cest une question qui se pose quand même parce quon est très déstabilisé dès la deuxième planche... ED. : Tant mieux ! FG. : On le retrouve au niveau graphique dailleurs, parce quil y a une alternance avec les couleurs qui, en plus, démarque bien ces planches-là des autres. ED. : Le meurtre se passe de nuit, donc, dans toute cette longue séquence de jour, on se retrouve avec ces deux pages de nuit quon retrouvera après. |
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