LES GAUCHISTES

LR. : Après avoir parlé d’Albert, on voudrait maintenant parler des personnages des deux gauchistes, dont on a évoqué le nom tout à l ' heure. En fait, ils apparaissent dans l’histoire parce qu’ils ont été en quelque sorte " mercenarisés " par quelqu’un pour tuer le chef du parti de " droite dure ".
Alors voilà : on trouvait ces personnages un tantinet stéréotypés... notamment parce qu’ils sont une sorte de seconds rôles, un peu bêtas (je pense surtout à celui qui a les cheveux très longs et qui parle beaucoup). Est-ce que justement, ce n’est pas quelque chose que l’on a vu ailleurs ?...

ED. : Ah, c’est très possible, effectivement. Je ne l’ai pas fait en référence à quelque chose de précis.

LR. : Non, mais est-ce que ce n’est pas un second rôle que l’on a l’habitude de voir dans des récits policiers ?

ED. : C’est possible, moi je ne sais pas... Moi, je sais que dans le polar français (je ne parle pas de la bande dessinée, je parle du polar en roman), il y a beaucoup d’intrigues parlant de l’extrême droite et qui mettent en scène des gauchistes, des anciens gauchistes, des choses comme ça... Je pense au dernier polar de Jean-Bernard Pouy, je pense à la plupart des séries noires, des Poulpe notamment. Il y a souvent une référence à l’extrême-droite, et pour faire une contrepartie à ça, il y a aussi des gauchistes. Ce sont généralement des types qui aiment bien la bonne bouffe, qui sont sympas, qui écoutent du jazz, qui picolent pas mal, mais qui sont sympas.
Et le stéréotype dont je me méfiais, c’était plutôt ça : comme on parle d’extrême-droite et que ce sont eux les méchants, on va faire des gauchistes qui sont gentils. Moi, je préférais faire un gauchiste qui soit aussi un peu un crétin.

FG. : On disait tout à l’heure qu’il est aussi imbécile qu’Albert... Le deuxième les renvoie dos à dos quand ils se retrouvent au vestiaire.

ED. : Voilà c’était ça l’idée. Maintenant, le fait qu’il ait un côté stéréotypé, c’est possible, je ne suis pas à l’abri de ça, mais ma démarche à moi, c’était d’éviter le stéréotype que l’on rencontre souvent dans les polars.

LR. : En fait, ce qui me gênait aussi, c’est qu’ils viennent de commettre un meurtre et ils se retrouvent dans la cuisine, pas à papoter tranquillement, mais presque : ils parlent de problème d’éthique !

ED. : Bah oui, c’est pas ça papoter tranquillement !

LR. : Apparemment, je ne sais pas si c’est leur premier meurtre, mais on imagine qu’ils n’ont pas une grande expérience de la chose et...

ED. : Et c’est pour cela que celui qui se trouve le plus à l’extrême-gauche, dit, en tout cas je ne pense pas qu’il soit vraiment sincère, qu’être payé pour avoir fait ce qu’il a fait, c’est à dire éliminer un chef de l’extrême-droite de la surface de la planète, être payé pour cela, ça l’ennuie, car lui l’a fait pour le geste ! Il n’a pas l’impression de commettre un crime, mais de faire un acte de salubrité publique et le fait d’être payé lui pose un problème de conscience. Ce à quoi son copain, nettement plus cynique, et plus terre à terre répond qu’il veut bien empocher sa part de fric. Donc il ne sont pas en train de discuter tranquillement !

LR. : Oui, mais ça prend un côté assez drôle quand on le lit comme ça...

ED. : Évidemment, si j’avais créé des personnages un peu plus lucides et conscients sur leurs actes, ça ne se passerait pas comme ça, ils n’iraient pas prendre un café après.

LR. : Donc, vous revendiquez le côté " allumé " du personnage ?

ED. : Oui bien sûr. Si quelqu’un trouve ce type-là sympathique, je trouverais ça aussi dangereux que de trouver Albert, ou en tout cas les chefs d’Albert sympathiques. C’est un pendant, diamétralement opposé d’Albert. Dans mon esprit, ce n’est pas un type sympa. Ce n’est pas un personnage positif, dans le sens où il est aussi " allumé " et " barré " que l’autre !

LR. : Une autre scène, qui mettait en scène ces deux gauchistes, c’est celle où à un moment ils ont à faire avec Albert : celui-ci les retrouve, et ils se retrouvent tous les trois enfermés dans un gymnase.

ED. : Dans un vestiaire... le vestiaire du spectacle.

LR. : Et à un moment, ils arrivent à prendre le fusil des mains d’Albert, et Albert réussit quand même à s’échapper, parce qu’ils se disputent entre eux. Je trouvais difficilement crédible la scène.

ED. : Ç’aurait été peu crédible si Albert avait réussi sa tentative, il ne la réussit pas, il se prend une giclée de chevrotine ! D’un point de vue strictement concret, voire même d’un point de vue balistique (rires)... c’est des choses auxquelles je suis attaché... qu 'Albert tente cette sortie (en gros, c’est une pièce fermée, il y a juste deux fenêtres très longues, très horizontales, qui sont au niveau du sol, mais comme la pièce est un peu enterrée, ça communique avec le niveau du sol) ; pendant que les deux types s’engueulent, Albert, lui, ouvre la fenêtre et essaie de sortir : évidemment, c’est idiot ! Mais Albert n’est pas un génie non plus. Et évidemment ça ne marche pas ! Et Albert se fait tirer dessus et reçoit la giclée.

LR. : Oui, mais il arrive quand même à s’échapper, alors que s’il était resté dans la pièce, on peut penser qu’il n’en serait pas sorti vivant !

ED. : Il arrive à s’échapper, mais le problème n’est que décalé. C’est le genre de détails sur lequel je fais attention. La tentative d’Albert est vouée à l’échec, on est d’accord. La preuve : échec ! C’est à dire qu‘évidemment il leur échappe provisoirement, mais il ne pouvait pas éviter ce qu’il lui arrive. Ce qui aurait été bizarre c’est qu’il arrive à s’en sortir intact. Tu vois ce que je veux dire ?

LR. : Oui, mais en fait, je ne comprenais pas pourquoi les deux gauchistes étaient amenés à se disputer tous les deux sachant que leur vie a été menacée quelques secondes auparavant ?

ED. : Ils se disputent parce qu’ils réalisent qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde et qu’il y en a un qui se serait bien barré tout seul ! Ils ne sont pas aussi liés qu’ils semblent l’être. Et c’est quand les différences de conception de cette affaire commencent à leur apparaître qu’ils commencent à se chamailler. Il y en a un qui est là, pour faire justice, pour remplir une mission, parce qu’il est sûr d’avoir raison et puis l’autre qui est là pour faire un truc ponctuel, et dès qu’il peut se barrer, il se barre parce qu’il n’a pas envie de rester là alors que d’autres gens vont arriver qui vont leur faire la peau. Donc, leur alliance est très circonstancielle et assez peu résistante aux événements en fait.

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